Je viens de passer une année à retirer tout ce qui fait un tableau, le sujet, les couleurs, etc.
Le noir. Je n’aime que lui. Seule la découverte d’une forme avec le noir m’intéresse.
Tout ce travail porte sur la structure (toile brute, trait noir etc.) sur les éléments composant ou décomposant du tableau. Tout compte, les châssis, les clous, la toile brute, les signes élémentaires etc. dans ce processus de décomposition de l’acte de peindre. Un besoin de mettre de l’ordre, de « ranger la maison ».
Le véritable intérêt de cette recherche est de favoriser l’apparition du magique. Si cette base colorée est véritablement investie d’une émotion et d’une énergie vitale, elle porte en elle la naissance de la forme et des quelques accents qui peuvent la conclure. (…)
Dans les années 70, Pierre Zarcate est résident de la Ruche, cité d’artistes dans le 14e arrondissement de Paris, au même moment qu’Eduardo Arroyo, Jean-Paul Chambas, Gérard Fromanger et Ernest Pignon-Ernest.
Il réalise des dessins et des aquarelles figuratives sur papier exposés dès 1975 à la galerie Chiron à Paris. A partir de 1982, ses travaux sont montrés et défendus par le grand galeriste Karl Flinker. Cette décision confirme alors l'inscription de l'artiste dans une histoire de l'abstraction marquée par la volonté de construire les formes par la réflexion, car Flinker présente Klee et Kupka aussi bien que de jeunes artistes.
Pierre Zarcate aborde l’abstraction avec la « Série noire » en 1986, puis développe une abstraction colorée à la suite d’un voyage marquant en Egypte. Tout au long des années 1980 et 1990, la peinture que Zarcate expose dans les galeries de Pascal Gabert, puis de Marie-Hélène Montenay confirme ces exigences : étranger aux modes qui dominent ces décennies, l'artiste poursuit ses travaux dans un esprit d'analyse et de développement de systèmes, démarche qui le conduit, en 1996, à rejoindre le groupe Fractal.
Ce collectif aspire à renouveler la peinture en la nourrissant des travaux des mathématiciens et physiciens autour de la géométrie fractale. En 1999, le Musée de Mantes-la-Jolie (Yvelines) consacre une rétrospective personnelle intitulée « Trames et drames » à cette trajectoire - mais elle est alors près de prendre une direction toute différente, du côté de la représentation du monde et de sa critique.
Abandonnant la peinture pour une combinaison de collages et d'éditions photographiques, Zarcate s'engage au début des années 2000 dans ce qu'il appelle ses « Images monde ». Ce sont des montages de très nombreuses images photographiques qui s'organisent à partir d'un motif - tirer la langue, parader en groupe, la nudité, la guerre, l'Afrique ou l'Asie, parmi bien d'autres, selon des schémas de composition dans lesquels transparaît parfois la mémoire du Fractal et de ses disséminations. Plus souvent en noir et blanc qu'en couleurs, ces assemblages abondent en notations satiriques. Le flux constant d'images dans lequel l'homme d'aujourd'hui se noie se trouve ici comme glacé en diagrammes très denses : on pourrait les situer au point de rencontre des « scapes » d'Erro et des photomontages de John Heartfield.
A l'automne 2008, ces « Images monde » ont fait l'objet d'une exposition au centre d'art villa Tamaris à La Seyne-sur-Mer (Var).
« Les Machines de l’esprit » (à propos de « Série noire »)
Texte de Gérard-Georges Lemaire reproduit dans le catalogue de l’exposition « Série noire », Galerie Pascal Gabert, Paris, 1986
« D’aucuns prophétisent le retour de la figuration, dans tous ses états. D’autres proclament la permanence d’une tradition néo-conceptuelle. D’autres annoncent la réémergence de l’idéal formaliste abstrait et d’autres enfin le regain d’une abstraction lyrique.
En somme, tous les modes d’expression qui ont fait leur apparition en ce siècle et ont façonné la matrice de l’aventure moderniste, semblent refaire brusquement surface, et aucune d’entre elles ne donne le sentiment de devoir l’emporter et se cristalliser pour s’imposer et s’emparer de l’imagination des hommes, même si l’on s’ingénie à inventer des groupes, des tendances, des courants qui ne sont en réalité que le fruit d’inventions nostalgiques de la part de ceux qui éprouvent la nostalgie de l’époque des avant-gardes. En fait, le crépuscule de l’art moderne, que nous vivons depuis quelques années, et dont nous sommes les acteurs, a entraîné une relecture générale de cette ère dont tous les principes sont remis en cause. Les artistes de notre temps sont confrontés à la plus belle mais aussi à la plus cruelle liberté : celle de postuler un espace plastique qui puisse puiser son inspiration de n’importe quel système sémantique antérieur…
Pierre Zarcate est un de ces peintres qui a choisi d’œuvrer, pour l’heure, dans le sens d’une recherche qui tend à exclure la figure au profit d’un jeu rigoureux de tensions chromatiques et de masses qui se superposent et s’emboîtent, comme suspendus dans le vide de la jouissance esthétique.
Bien qu’il ait renoncé à toute allusion, même elliptique, à un quelconque système de représentation, il ne vise pas à la fondation d’un espace de nature informelle. Son univers est constitué d’extrapolations linéaires où des rouages et des pièces d’une complexe machinerie mentale se sont mystérieusement arrêtés. Aussi froids et déterminés que puissent sembler ces mécanismes précis, ils ont néanmoins, dans leur dépouillement extrême, un pouvoir suggestif qui n’est pas d’ordre analogique, mais n’en suppose pas moins une circulation secrète du sens, dépassant la stricte architecture du tableau.
En sorte que ces poids et contrepoids aux larges contours noirs se sont immobilisés dans un espace fictif complètement raréfié pour marquer la formidable et terrible harmonie du Temps qui préside aux mélancoliques abstractions du peintre.
Paradoxale par excellence, cette spéculation néo-constructiviste se double en effet d’un sentiment nostalgique : méditation sur l’économie géométrique des années vingt, quand l’arpentage d’un territoire abstrait était une œuvre à la fois iconoclaste et positive. Audacieuse autant qu’insolente, l’entreprise de Pierre Zarcate se métamorphose en une conscience aigüe des limites théoriques de ce champ d’expérience.
L’émotion qu’on éprouve en contemplant chacune de ces propositions plastiques naît de cette ambiguïté foncière entre le désir de forcer les codes du langage pictural et celui de déchiffrer et d’exalter une écriture de l’âge d’or, à portée de main et pourtant déjà si loin de notre sensibilité et de notre pensée. Ce contraste entre ces deux aspirations contraires est le moteur de toute création et prouve que la modernité est devenue un classicisme, dans le sens fort du terme. Pierre Zarcate en témoigne.»